Communautarisme et test ADN...et fichiers ethniques

Publié le par Polititocard

communautarisme.jpg
Tribune

La statistique ethnique tente une percée

Introduite, comme le test ADN, par l'intermédiaire d'un amendement, le droit à la collecte de statistiques dites ethniques est une initiative peut-être, elle aussi, lourde de conséquences pour l'avenir : elle donne des outils à ceux qui souhaitent développer des analyses racialisées de la société. L'existence d'un référentiel ethno-racial de la France devient une perspective possible, voire probable à brève échéance.

Extraits:

"En mai, l'Institut national démographique a ainsi proposé, devant le Conseil national de l'information statistique, l'introduction de la couleur de la peau dans l'enquête "Trajectoire et origines". Prévue pour 2008, cette importante enquête sera réalisée auprès d'environ 20 000 personnes représentatives de la population française. Son principal objectif est d'étudier les trajectoires des immigrés et des enfants d'immigrés, leur degré d'insertion et les discriminations qu'ils subissent. Elle répond, entre autres, aux attentes de la Halde, la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité."

"En l'absence de procédures strictes de contrôle d'accès aux statistiques ethniques et de validation de leurs utilisations, la boîte de Pandore sera ouverte et il n'est pas sûr qu'elle puisse ensuite se refermer. Il a suffi d'un lobbying très actif d'une association autoproclamée "représentative" des "Noirs" de France, relayée par quelques chercheurs désireux de développer les statistiques ethno-raciales, pour mettre ce sujet au coeur de l'actualité. Les uns et les autres ne cachent par leurs intentions : si on leur en donne les moyens, ils construiront leur référentiel ethno-racial, pour isoler les "Blancs" et compter les "Noirs", en laissant les autres à leur complexité. Ne jetons pas la pierre aux chercheurs : on leur demande des résultats, des publications dans des revues internationales, donc anglo-saxonnes. Pour cela, il faut la couleur de la peau parce qu'elles voient le monde en "noir" et "blanc". A force d'usages, leurs catégorisations s'imposeront doucement aux autres chercheurs, puis à la statistique publique, par simplicité et par habitude. Viendra ensuite le temps des quotas."


"Demander à quelqu'un sa couleur de peau revient à lui imposer contre son gré une réalité et une façon de se définir qui peuvent lui être totalement étrangères. Mais à force de répétition, les classifications deviennent comme naturelles. Au Rwanda, la distinction entre Hutu et Tutsi ne reposait, avant l'arrivée des colonisateurs belges, sur aucune différence ethnique, religieuse ou linguistique. Elle n'avait qu'une connotation sociale. C'est le colonisateur qui a figé cette distinction dans un référentiel qu'il a déclaré "ethnique", où les Tutsi se retrouvaient, par construction, minoritaires et au pouvoir. On connaît la suite...


Pour revenir à la France, encore un temps protégée des statistiques ethniques, l'exemple des zones urbaines sensibles ou des zones d'éducation prioritaires illustre cette double dérive, statistique et politique. Les statistiques s'efforcent de se décliner toujours plus nombreuses en "ZUS-non ZUS", "ZEP-non ZEP". Ce faisant, elles laissent de côté des quartiers et des établissements qui connaissent des situations parfois plus difficiles que d'autres labélisés. A contrario, créées pour cibler les politiques publiques, leurs étiquettes stigmatisent désormais ces quartiers et ces établissements, aux dépens de leurs habitants et de leurs élèves. Autoriser la collecte de la couleur de peau nécessite donc un vrai débat.

--------
Stéphane Jugnot est statisticien et économiste, Ecole nationale de la statistique et de l'administration économique (Ensae).

Publié dans polititocard

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article